Interlude comestible

Interlude Comestible

Il en avait marre, le chou. Toujours coincé entre deux carottes trop aimables et une patate un peu collante. À force de vouloir l’émincer, on avait fini par entamer sa patience. On le disait ancré, rustique, docile. Il n’était rien de tout ça. Alors un matin, sans crier feuille, il a pris le large. Pas de carte, pas de plan, juste une idée floue : ailleurs. Loin du bouillon, des casseroles pleines de certitudes, des menus rigides, des cuissons qui enferment. Il cherche encore. Sa place, son assiette, son équilibre. Peut-être qu’il finira en kimchi, mariné, fumé, ou perdu dans une soupe thaï — peu importe. Ce qu’il veut, c’est respirer. S’épanouir un peu. Être goûté sans être rangé, reconnu sans être classé. Il vogue, enroulé dans son propre manteau de résistance, feuilles contre le vent, pensées claires. Il ne fuit pas. Il avance. Avec une détermination tranquille, une sorte d’obstination tendre. Et s’il ne trouve jamais de port, tant pis. Il aura au moins tenté quelque chose. Et ça, c’est déjà beaucoup.

La roquette, encore un peu crue, piquante, se trouve soudainement enveloppée par une chaleur douce, presque incongrue. Elle se faufile entre des flammes qui ne cherchent pas à brûler, mais à effleurer un souffle inattendu. Les carapaces de crevettes, déjà bien assaisonnées, s’ajoutent à la scène, telles des spectatrices discrètes, un peu détachées, mais toujours présentes. L’équilibre se fait dans la tension, entre ce qui reste frais et ce qui se réchauffe dans l’urgence d’un instant. La roquette ne se laisse pas apprivoiser facilement. Pas de douceur excessive. Elle reste piquante, mais dans une chaleur subtile, presque insidieuse, qui se fait désirer et qui, pourtant, envoûte. Le tout devient une danse légère, presque fugitive. Chaque bouchée, une note sans fin, où tout semble trop chaud, mais étrangement parfait. Ni trop froid, ni trop tiède, juste ce qu’il faut pour atteindre un équilibre éphémère.

Le bouillon, pourtant calme au début, commence à se réchauffer. Trois voix feuillues s’élèvent autour de la table. La plus déterminée prend la parole d'un ton affirmé, tandis que les autres glissent des remarques incisives mais toujours mesurées. L’un impose sa présence avec une autorité douce mais marquée. Pas question de laisser le bouillon se laisser dominer par les petites épices du coin. Dans un silence où l’on sent la tension, la plus résolue lève la main, deux feuilles en main, et fait sa déclaration, l’air solennel. Un frémissement passe parmi les autres, chacun ajustant sa posture sans mot dire. Pas de place pour la finesse ici. Ça mijote sec. Le bouillon frémit dans une intense mais calme agitation, un chant qui s’intensifie, mais sans fioritures. L’harmonie de trois voix feuillues, un équilibre parfait, qui ne se négocie pas. Ça mijote sec, mais avec un certain panache.